Cahors Juin Jardins était invité cette année et pour la première fois, par le musée des Augustins à Toulouse dans le cadre de la manifestation nationale des Rendez-vous aux jardins. L'artiste Anaïs Lelièvre a proposé Pnnaculum, une installation en dessin et en volume. Une multiplication de pinacles a envahi le jardin du Cloître. Ils émergent de terre tels une archéologie inversée révélant une architecture de cristaux, minérale et sépulcrale. Photos de Philippe Cadu
Ce projet Pinnaculum s’enracine dans l’histoire
complexe de l’architecture du couvent puis du Musée des Augustins, avec ses
multiples mutations (changement de fonction, transformations du bâti par
démolitions, rénovations, restauration…). L’aspect stable et imposant du
bâtiment s’appréhende dès lors dans sa dimension temporelle et transitoire, qui
interroge aussi sur son devenir, ouvrant l’imaginaire à d’autres évolutions
possibles.
Evoquant ses pinacles (pointes
les plus hautes d’une architecture gothique), des volumes enfoncés dans la
terre, semblent pousser du jardin d’inspiration médiévale, parmi les végétaux
en germination. Tel un bâti souterrain, émergeant partiellement en surface, ils
suggèrent une suite encore enfouie et invitent ainsi à une sorte d’archéologie inversée :
projection d’un futur impossible, et basculement incertain entre percée du bâti
et fouille imaginaire. En écho avec les cyprès du jardin qui tendent à s’élever
aussi haut que les pinacles, ces sculptures sont constituées d’un dessin d’un
entrelacs de racines coupées de « faux cyprès » (Cyprès de Lawson). Les tracés
vibrants en dématérialisent l’image telle un disegno intérieur, dessein mental, autant qu’ils en transcrivent
les flux qui animent des processus de croissances ou de métamorphoses, tant
végétales qu’architecturales.
En ramenant les pinacles de leur hauteur céleste
au sol de terre, le projet ravive aussi leur terreau originel : l’analogie
entre le style gothique et les forêts a animé les plumes littéraires de Goethe,
Chateaubriand notamment, et révèle l’architecture comme une cristallisation de
forces de la nature. Aussi, plus largement, dit-on planter des graines et
planter des fondations, planter sa tente, s’implanter sur un territoire… Entre
la dynamique du processus de bâtir et les principes biologiques de germination et de croissance, des
coïncidences se ramifient, de formes, de langage, d’histoire et d’imaginaire
collectif.
La ligne se manifeste là comme
la restitution sensible d’un lien entre passé et devenir. Et son inscription (du
latin in- « dans » et scribere « écrire ») dans ce
lieu croise ces deux significations : l’acte graphique d’écrire, de
dessiner, de transcrire, de tracer et de garder trace ;
et l’acte existentiel consistant à se projeter dans un espace pour s’y
installer et y habiter.
« Les hommes ont pris dans les forêts la
première idée de l’architecture. »
François-René de Chateaubriand
« Avec la multitude de ses excroissances,
les tours et les tourelles, les arcs-boutants, les gables, les pinacles, elle est, de
l’extérieur, pareille à la forêt. A l’intérieur, on y retrouve les fières
voûtes d’une allée d’arbres gigantesques. Sa nature est végétale, mais c’est
aussi une végétation de cristaux, une
floraison de polyèdres qui se répètent à l’infini, toujours plus grands,
toujours plus hauts et qui s’émiettent, taillés toujours d’une même
façon. »
Jurgis
Baltrusaitis, à propos des analyses de l’architecture gothique
par Friedrich Schlegel